Les relations de travail sur les médias sociaux : dans quelles circonstances est-il possible d’utiliser une publication afin de sanctionner un salarié ?
La jurisprudence regorge de cas d’employeurs ayant imposé des mesures disciplinaires envers un salarié après avoir pris connaissance d’une publication inappropriée sur les réseaux sociaux. Que ce soit des photos d’un salarié pratiquant une activité incompatible avec son état de santé ou encore des commentaires désobligeants à l’égard d’un collègue ou de ses supérieurs, une question essentielle se pose : dans quelles circonstances un employeur peut-il utiliser ce contenu pour justifier l’application d’une mesure disciplinaire, tout en respectant la vie privée de l’employé?
Le droit à la vie privée est codifié dans plusieurs Chartes et lois[1]. Le nombre de dispositions entourant ce droit démontre son importance[2]. Or, le salarié a aussi l’obligation d’effectuer son travail sous la direction ou le contrôle de son employeur, ce qui accorde des droits à ce dernier. Dans certaines situations, cela inclut le droit de surveillance, par exemple de l’usage d’Internet au travail, si des motifs sérieux le justifient[3].
La jurisprudence est constante à l’effet que la notion d’expectative raisonnable de vie privée détermine s’il y a réellement atteinte au droit à la vie privée selon les circonstances de chaque cas[4]. En ce qui a trait aux réseaux sociaux, un employeur doit se demander si le salarié pouvait s’attendre à ce que la publication qui lui a valu une sanction demeure privée[5].
Malgré que les réseaux sociaux soient publics, il semble que le caractère privé relève plutôt du contrôle qu’exerce le salarié sur son compte. Par exemple, s’il prend la peine d’appliquer des paramètres de confidentialité et de limiter son nombre d’amis, un arbitre ou un juge pourrait considérer le contenu personnel et conclure que l’utilisation du contenu provenant de son profil constitue une atteinte à la vie privée[6]. Évidemment, chaque cas doit être évalué dans sa globalité.
De surcroît, si l’employeur doit utiliser un subterfuge pour arriver à obtenir l’information, c’est la preuve qu’il viole un des droits fondamentaux de son employé[7]. À titre d’exemple, la défunte Commission des lésions professionnelles a estimé qu’un employeur qui se crée un faux compte Facebook pour devenir ami avec le salarié dans le but d’accéder à ses publications constitue une atteinte à la vie privée[8]. Pour sa part, le Tribunal administratif du travail a déjà rendu une décision similaire dans le cadre d’un dossier où l’employeur avait obtenu les publications Facebook d’un salarié en passant par un tiers, possiblement un ami du salarié sur les réseaux sociaux[9].
Outre le contrôle, l’employeur doit en plus analyser la nature de la communication. L’utilisation de la messagerie privée ou à l’opposé, l’inscription d’un message sur son profil, influence la nature privée de la publication.
Il faut aussi considérer le destinataire du message lors de l’évaluation de l’intensité du droit à la vie privée. En effet, si le salarié s’adresse à un ami proche, l’expectative de vie privée sera plus grande que s’il s’adresse à l’entièreté de la communauté Facebook. Dans le cas où les publications compromettantes seraient facilement accessibles, elles pourraient en l’occurrence être utilisées contre son auteur dans le cadre de procédures judiciaires ou d’arbitrage de grief. Cela pourrait notamment être le cas si elles proviennent de Google, Facebook, Twitter, YouTube, Flickr ou de tout autre média accessible à tous[10].
Avant d’utiliser une publication du salarié sur les réseaux sociaux (ou de laisser l’employeur l’utiliser), il y a donc plusieurs éléments à considérer et des professionnels du droit du travail seront en mesure de vous conseiller au besoin.
Et si la publication du salarié constitue de la diffamation à l’égard de son employeur. Qu’arrive-t-il ? Ce sera le sujet de notre prochain blogue !
Me Jocelyn Beaudoin, avocat
Laurie Ste-Marie, étudiante en droit
[1] Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c.11 (R.-U)], Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C.-12., Code civil du Québec, L.Q. 1991, c.64 et la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, RLRQ, c. P-39.1.
[2] Laurent ROY ET Renaud PLANTE, « Mes amis Facebook, moi et mon emploi : l’arbitrage de grief à l’ère des réseaux sociaux (2012) », La pertinence de l’encadrement législatif actuel à l’ère des médias sociaux, Conférence des arbitres du Québec, Montréal, Wilson et Lafleur, p.213 à la page p.219.
[3] Katherine LIPPEL et Guylaine VALLÉE, « Interdiction du harcèlement et protection de la vie privée et des droits fondamentaux », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit du travail », Rapports individuels et collectifs du travail, fasc. 23, Montréal, LexisNexis Canada, par. 30.
[4] Préc., note 2.
[5] Id.
[6] Id.
[7] Sébastien LAPOINTE, « Commentaire sur la décision Maison St-Patrice inc. et Cusson – Rejet d’éléments de preuve issus de Facebook parce que violant le droit à la vie privée d’une employée », dans Repères, Juin 2016, EYB2016REP1961.
[8] Campeau c. Services alimentaires Delta Dailyfood Canada inc., 2012 QCCLP 7666.
[9] Maison St-Patrice inc. et Cusson, 2016 QCTAT 482.
[10] Patrick GINGRAS et Nicolas W. VERMEYS, « Chronique – Revue jurisprudentielle québécoise sur les technologies de l’information », dans Repères, janvier 2016, EYB2016REP1860.