Les relations de travail sur les médias sociaux : existe-t-il une limite à la liberté d’expression du salarié face à son employeur ?
Il est possible qu’un employé mécontent d’une situation vécue au travail décide de s’exprimer à ce sujet sur les réseaux sociaux. Outre la question du droit de l’employeur d’utiliser les publications du salarié pour le sanctionner (lire notre blogue à ce sujet), quelle est la portée et les limites du droit à la liberté d’expression du salarié?
Une des composantes essentielles du contrat de travail est le lien de subordination. Cela signifie que le salarié doit exécuter sa prestation de travail sous le contrôle de l’employeur[1]. Dans le cas où le salarié irait à l’encontre des instructions qui lui sont données, son geste peut être considéré comme un acte d’insubordination et peut mener à l’application de mesures disciplinaires pouvant aller, dans certains cas, jusqu’au congédiement[2].
De ce lien de subordination découle le devoir de loyauté[3]. Codifié à l’article 2088 du Code civil du Québec, il impose au salarié de faire passer les intérêts de son employeur avant les siens[4]. Cela ne veut pas dire pour autant que le salarié perd tout droit de s’exprimer ou qu’il doit se soumettre aveuglément à l’employeur[5]. Il doit toutefois faire preuve d’honnêteté, de bonne foi et d’intégrité[6].
Plusieurs facteurs peuvent permettre à un juge ou un arbitre de déterminer si la critique du salarié est abusive, et donc, susceptible d’être sanctionnée.
D’abord, plus le niveau hiérarchique de l’auteur de la critique est élevé, plus l’intensité de l’obligation de loyauté l’est aussi.
La nature de la critique module aussi la gravité du geste commis. Critiquer l’entreprise, les conditions de travail ou un supérieur hiérarchique de l’entreprise peut constituer un manquement important. Pour ce qui est de dénoncer l’incompétence d’un dirigeant de l’entreprise, cela peut constituer une cause juste et suffisante en matière de renvoi[7], dans le cas où elle porte atteinte à l’honneur et la réputation de la personne visée. Précisons que chaque cas est un cas d’espèce et que nous vous suggérons de consulter des experts en droit du travail avant de procéder à un congédiement. Il est à noter que si un salarié non syndiqué se croit victime de harcèlement, il est préférable qu’il use des recours à sa disposition dans la Loi sur les normes du travail[8], plutôt que d’effectuer une dénonciation publique[9].
La forme de la critique joue aussi un rôle déterminant dans l’appréciation des droits du salarié. À cet effet, l’arbitre ou le juge évaluera entre autres l’auditoire de la critique. Par exemple, une critique dans les médias sociaux peut être très dommageable si elle rejoint un large public. De surcroit, les tribunaux évaluent la fréquence d’une telle critique, ainsi que la transparence de l’employé. Si ce dernier a dissimulé certains faits, cela jouera contre lui[10].
Finalement, le contexte est aussi évalué par les juges et arbitres. En ce qui a trait à une publication qui pourrait porter atteinte à la réputation de l’employeur, ils pourraient regarder quels étaient les motifs du salarié. Si ce dernier a agi dans l’intérêt du public, son droit à la liberté d’expression sera plus large que s’il a agi uniquement pour servir ses intérêts personnels, ou pire, dans un esprit de vengeance. Les juges et arbitres s’intéresseront aussi aux démarches prises par le salarié afin de s’assurer de la véracité de ce qu’il avance[11].
En somme, le droit à la liberté d’expression d’un employé lui permet d’émettre certains commentaires à l’égard d’un employeur. Cependant, ce droit n’est pas absolu et est encadré par plusieurs obligations, dont celle d’agir avec honnêteté et intégrité. L’employé qui abuse de son droit risque donc de faire l’objet de sanctions de son employeur.
Chaque cas en étant un d’espèce, nous recommandons aux employeurs de consulter un professionnel en droit du travail avant d’imposer à un salarié une sanction fondée sur une atteinte alléguée à la réputation de l’employeur ou si vous souhaitez valider la conformité d’une telle sanction.
Me Jocelyn Beaudoin, avocat
Laurie Ste-Marie, étudiante en droit
[1] Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, art. 2085 (ci-après appelé « C.c.Q. »).
[2] Frédéric DESMARAIS, Commentaires sur le Code civil du Québec (DCQ) ; Commentaire sur l’article 2094 C.c.Q., Cowansville, Éditions Yvons Blais, 2014.
[3] Christian BRUNELLE et Mélanie SAMSON, « La liberté d’expression au travail et l’obligation de loyauté du salarié : plaidoyer pour un espace critique accru », (2005) 46 C. de D. 847-904.
[4] Préc., note 2.
[5] Préc., note 3.
[6] Jean-Yves BRIÈRE et al., Le droit de l’emploi au Québec, 4e éd., Montréal, Wilson et Lafleur, 2010, n°II-99.
[7] Préc., note 3 ; Aubé c. Hébergement La passerelle, D.T.E. 2003T-566 (C.R.T.), 11 (comm. P. Cyr, par. 42).
[8] Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1.
[9] Préc., note 3.
[10] Préc., note 3 ; Syndicat des professionnels de la Commission des écoles catholiques de Montréal c. Commission des écoles catholiques de Montréal, (1981) S.A. 2116, 69 (arb. A. Larouche).
[11] Préc., note 3.